vendredi 21 mai 2010

Le futur est-il l'affaire de tous ?

On ne présente plus le futurologue et penseur de la globalité Jamais Cascio. Sur la scène de la conférence Lift à Genève, il a fait un numéro de gourou peu adapté à une conférence européenne. Si on en extrait la substantifique moelle de son propos, Jamais Cascio a expliqué que penser le futur était quelque chose d'intrinsèquement humain. Le futur est un processus plus qu'une destination, disait déjà l'écrivain de science-fiction Bruce Sterling. Souvent, pourtant, nous abordons l'avenir sous la forme de menaces : on pense plus à la fin du monde probable qu'à notre adaptation à un monde changeant.
Quand on évoque les futurologues, on évoque d'abord leurs capacités prédictives, on les imagine plutôt comme des devins ou des voyants, peut-être parce que beaucoup sont restés bloqués sur des visions fausses de l'avenir, des “avenirs d'héritages” comme il les appelle, à l'image des jetpacks ou des voitures volantes sensées nous promener dans les airs avec la même fluidité que l'on se promène sur terre. On observe le plus souvent les choses qui nous inquiètent aujourd'hui, mais qui risquent de devenir désuètes demain, souligne avec ironie le prospectiviste.

Or, pour Cascio, ce n'est pas cela la futurologie. L'avenir ne nous arrive pas brutalement dessus, comme tend à nous le faire croire le concept de Singularité par exemple : nous le créons. “Les choix que nous faisons ont des conséquences”, comme le montre le problème climatique. Les futurologues sont un peu le système immunitaire de la civilisation : ils doivent rendre les gens sensibles à différents possibles pour que la société puisse créer le monde que nous souhaitons. “Les choix que nous faisons aujourd'hui n'ont pas que de l'importance maintenant, ils en ont aussi pour demain. (…) Les choix que nous allons faire dans les quelques années à venir, vont avoir un impact sur les siècles à venir… et je ne parle pas seulement de l'environnement. (…) En prenant de plus en plus de puissance, l'impact de nos choix devient également de plus en plus conséquent.”

Nous devons créer l'avenir que nous voulons, assène le prêcheur Cascio, la messe dite. Et pour cela, il suffit de penser aux conséquences de nos actes, rajoute-t-il… Comme si cela était aussi simple à dire qu'à faire. L'économie comportementale, notamment, nous montre bien pourtant qu'en matière de changement climatique, la modification de nos comportements n'est pas si simple…

Nous avons voulu aller un peu plus loin que cette présentation un peu facile à laquelle s'est livré Cascio sur la scène de Lift. L'occasion de revenir avec lui sur ses prises de position récentes et de mieux comprendre le personnage… Complément sous forme d'interview.

InternetActu.net : Vous avez longtemps été sceptique à propos de la géoingéniérie avant de vous rallier prudemment à cette cause. Pourquoi selon vous est-ce la solution à la crise écologique ? Qu'est-ce qui vous a fait vraiment changer d'avis ?

Jamais Cascio : Pour être clair, je ne pense toujours pas que la géoingénierie devrait être la solution. Mais la raison pour laquelle je suis passé du scepticisme à une position plus prête à embrasser cette idée repose sur le fait que les politiciens autour du monde n'agissent pas assez vite, et ce, alors que la science montre clairement que le problème climatique va devenir de pire en pire, et cela plus rapidement que ce à quoi l'on s'attendait. Cette combinaison d'insuffisance de la réponse et de croissance très rapide des problèmes risque de nous embarquer dans une situation où, très vite, les réponses traditionnelles ne suffiront pas. Cela nous laisse face à des options très déplaisantes : il faut soit essayer quelque chose de très risqué soit accepter la catastrophe.

Que pensez-vous du capitalisme vert, de cette green valley, caractérisée par les projets de gens comme Eon Musk, Shai Agassi, Saul Griffith… Ces Pionniers de l'Or Vert, comme les appelle Dominique Nora dans son livre éponyme, qui sont à la poursuite du Graal alternatif aux énergies fossiles pour faire sortir l'humanité de son addiction au pétrole… Quelle peut-être leur contribution pour la planète ? Si vous vous rangez du côté de la géoingéniérie, est-ce que cela ne veut pas dire que leurs contributions, aussi intéressantes qu'elles puissent être, demeurent limitées ?

Je pense que les efforts de cette génération sont probablement insuffisants, trop limités, trop faibles pour être capables de répondre au problème climatique qui prend une importance chaque jour plus décisive. Une fois dit cela, je pense que ces pionniers du capitalisme vert sont très importants, car ils sont la fine pointe de cette transformation à venir.

Ce à quoi le monde va ressembler d'ici 20 ou 30 ans n'est pas celui que l'économie de marché nous propose aujourd'hui. Nous allons bientôt être confrontés à une transformation si radicale qu'elle va devoir être gérée avec de nouveaux modèles économiques. Je ne sais pas quelle forme cela va prendre, mais cela reposera certainement plus sur des notions comme la résilience que sur l'efficacité. La résilience, c'est la capacité à résister aux chocs, alors qu'un marché construit sur l'efficacité consiste à maximiser les retours sur investissements, même si le coût des dommages en cours de route est important.

Shai Agassi et les gens comme lui inventent des services utiles permettant de rendre la transformation possible… Leurs solutions nous permettent d'envisager d'éviter la catastrophe. Sauf que nous ne sommes pas confrontés à un sursis, mais à une exécution. Leurs solutions n'éliminent pas le problème. Elles nous évitent de nous demander, temporairement, comment le résoudre…

Pensez-vous que l'économie comportementale puisse sérieusement faire quelque chose pour la planète ?

Je ne connais pas assez l'économie comportementale pour vous répondre. Je pense que le développement durable nécessite un changement de nos comportements… Mais plutôt que de devenir plus responsables dans nos comportements, je pense que cela signifie surtout qu'il nous faut devenir plus prospectifs, c'est à dire d'être capables, d'être disposés à avoir une perspective, une position qui consiste à ne pas regarder seulement les résultats immédiats de nos comportements, mais de les voir à plus long terme.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire